Résistances et ressorts affinitaires dans la ville
Trajectoires de ménages pauvres d’origine étrangère à Paris

20 mars 2015

Discipline : Sociologie

Année d’inscription : 2014

École doctorale : Sciences Sociales - ED 401 de l’Université de Paris 8 Saint Denis

Laboratoire de recherche : UMR CNRS 7218 Laboratoire Architecture, Ville, Urbanisme, Environnement (LAVUE)

Financeur : Caisse Nationale des allocations familiales (CNAF)

Le phénomène de concentration spatiale de ménages pauvres d’origine étrangère en France et particulièrement en Ile-de-France est souvent analysé en termes de défaillances dans les processus d’urbanisation et d’intégration, voire comme un danger ou encore une menace pour la « cohésion sociale ». En effet, « dans le débat politique français actuel, il semble acquis que la ségrégation est un mal qu’il faut combattre, et que la mixité sociale est la solution qu’il faut encourager » (Préteceille, 2004). Une telle perception de l’implantation et de la répartition des ménages d’origine étrangère sur le territoire révèle plusieurs présupposés : outre le fait qu’elle associe la concentration de ménages d’origine étrangère à un phénomène négatif, elle semble laisser entendre que les ménages sont soit les sujets passifs d’un phénomène de ségrégation, soit des sujets actifs mais alors responsables d’une telle situation. Dans les deux cas, seule une intervention extérieure de l’État et des collectivités locales visant à remodeler les territoires et les quartiers, est avancée comme moyen permettant de lutter contre les risques de ce qui est parfois présenté comme une ghettoïsation. Ces approches, que l’on pourrait qualifier de politico-spatiales semblent avoir atteint des limites. Il convient donc de les réinterroger et de les dépasser.

Dans cet objectif seront reprises, d’une part, les analyses sur les effets sociaux du renouvellement urbain, plus particulièrement à partir du logement, qui orientent vers une compréhension de la position de ces ménages qui, s’ils sont « ouverts à l’arrivée de populations nouvelles, n’admettent en revanche pas un écrémage social par dispersion résidentielle dont ils sont les seuls à faire les frais » et refusent la mixité sociale à sens unique (Deboulet, 2006). D’autre part, dans le débat scientifique sur les transformations récentes des quartiers anciens qui jusque-là concentraient nombre de classes populaires et d’immigrés, les études reposant essentiellement sur l’analyse d’un front de « gentrification » agissent comme un écran, focalisent sur la dimension spatiale et empêchent la prise en compte d’autres dimensions (Fijalkow, 2013), notamment sociale et politique au sens large. L’approche souvent très fine de l’implantation des nouveaux ménages de classes supérieures, ou de ménages qui, de par leur ascension sociale, modifient la morphologie des villes et des quartiers populaires (Glass and al. 1964 ; Smith and Williams, 1986) [1], offre peu de prise lorsque des poches de résistances se dressent, lorsque certains quartiers s’illustrent par des retards voir des ralentissements d’une gentrification qui semblait pourtant bel et bien amorcée. À l’exception de travaux portant sur des périodes antérieures (Coing, 1966) ou prenant en compte le temps long des transformations sociodémographiques (Lévy-Vroelant, 1999), ainsi que de monographies de quartiers (Toubon et Messamah, 1990 ; Collet, 2010 ; Chabrol, 2011 ; Clerval, 2013), l’analyse des dynamiques des ménages pauvres d’origine étrangère est souvent la pièce manquante. Or, dans certains quartiers des transformations liées à de nouveaux flux migratoires, à une crise économique, à des décisions de politique locale, entrent en jeu et sont susceptibles de contrecarrer les processus d’embourgeoisement et même de renchérissement : « Ceux qui écrivent sur la gentrification ne sont pas tous inconscients de ces diversités, mais ils tendent à les minorer, alors qu’il faudrait se demander si elles ne nous entraînent pas vers d’autres interprétations qui découleraient notamment d’une analyse fine des parcours résidentiels des différents types d’entrants et de sortants » (Bourdin, 2008). C’est ce type d’analyse que nous proposons de mener, considérant que les stratégies des ménages pauvres et d’origine étrangère, s’inscrivant potentiellement à contre-courant d’une évolution présentée comme mondiale, sont souvent absentes ou survolées. De plus, l’étude de la notion de trajectoire, associée à celle de stratégie, aidera à mettre à jour des manifestations de résistance (Giroud, 2007).

En effet, compte tenu des évolutions urbaines et de l’actualité de la recherche, il semble important aujourd’hui d’étudier la diversité des trajectoires et des dynamiques sociales, identitaires et culturelles à l’œuvre, et tout particulièrement celles des ménages pauvres d’origine étrangère ; condition nécessaire pour comprendre leurs stratégies leur volonté de rester à « Paris à tout prix » [2] et leur capacité à résister face à l’évolution sociale d’une ville capitale telle que Paris. L’étude des carrières urbaines de ménages pauvres majoritairement d’origine étrangère semble à même de révéler les ressorts leur permettant de s’installer et de se maintenir dans la ville globale (Sassen, 2009) et de mettre en lumière des formes d’organisations individuelles et collectives, de résistances et de structures sociales liées notamment à la transformation des migrations (Mazzella, 2013). Aussi, « la question pertinente n’est peut-être pas de savoir qui occupe les anciens quartiers d’accueil, dont la constitution résultait de la contingence historique, mais ce qu’il en est aujourd’hui des conditions de logement et d’insertion urbaine des arrivants pauvres » (Bourdin, 2008)

Objectif de la Thèse

L’étude des carrières urbaines des ménages pauvres d’origine étrangère au travers de leur installation à Paris (essentiellement dans le quartier Goutte d’Or), de leurs stratégies en matière de logement, de leurs combats pour améliorer leur situation sociale et économique, semble à même de mettre à jour des formes de luttes et des rapports sociaux nouveaux ou renouvelés. En effet, les ressorts qui les fondent semblent se substituer - c’est du moins l’hypothèse - aux ressorts identifiés historiquement dans le cadre de la lutte des classes sociales (ouvrier contre bourgeois) et des rapports sociaux qui en découlent. Le logement, et non plus (seulement) le travail, devient alors l’entrée la plus adaptée pour l’analyse des enjeux et tensions qui traversent nos sociétés urbaines.

Problématique

L’hypothèse principale est que les ménages pauvres et d’origine étrangère bénéficieraient de ressorts particuliers, de structures sociales et économiques propres qui leurs permettent de mieux résister aux transformations urbaines et économiques liées à la mondialisation. La seconde hypothèse concernant ces ressorts est la possibilité de les désactiver, et si le besoin s’en fait sentir de les réactiver. A ceci s’ajoute la capacité à nouer de nouvelles alliances avec d’autres habitants, précarisés ou non. Car les ressorts affinitaires proviennent de l’exercice de solidarités qui ne sont pas forcément « communautaires » au sens du groupe d’origine, mais qui puisent aussi dans des valeurs et des intérêts communs. Le milieu associatif et militant en est un bon exemple.

Résultats attendus

Apporter par des éléments empiriques la contradiction à la tentation récente dans les débats notamment politique de la « diabolisation du communautarisme » (E. Préteceille, 2004), réussir à démontrer que la société n’est pas attaquée par une résurgence communautaire mais qu’au contraire c’est plutôt le recule de l’Etat, de ses institutions, de ses moyens et de ses agents sur le territoire qui incitent les ménages, faute de moyens, à se débrouiller par eux-mêmes et à faire appel à l’entraide entre compatriotes et à des ressorts communautaires ou perçus comme tel.

[1Outre ces ouvrages classiques sur l’approche critique de la notion, voir quelques références sur les classes moyennes et le changement urbain dans notre bibliographie en fin de texte.

[2Yannick Henrio ; Paris à tout prix ! Études des trajectoires résidentielles de ménages pauvres dans Paris : Mémoire de Master 2, sous la direction de Claire Levy-Voelant 2013.