Présentation du projet pluridisciplinaire et objectifs :
Ce projet propose d’étudier conjointement le rôle des mobilités dans le déploiement transnational des religions, et celui des dynamiques religieuses dans les processus migratoires et la constitution de réseaux transnationaux. Il interroge les relations entre les mobilités transnationales de spécialistes religieux de différentes religions (christianisme, judaïsme, islam, hindouisme, bouddhisme, sikhisme, bahaïsme), et la fabrique de leurs compétence et autorité religieuses en contexte migratoire. Les spécialistes religieux, des Nords et des Suds, seront au cœur de nos préoccupations, mais la « route » pourra également constituer un point de départ privilégié des réflexions, afin d’interroger les itinéraires religieux qui peuvent se construire et se recomposer dans la migration ou, plus largement, dans la mobilité (Bava, 2017 ; Bava, Picard, 2014).
Venant compléter certaines recherches en cours centrées sur la fabrique des « autorités religieuses » au sein des trois religions du Livre et autour de la Méditerranée , ce projet propose un regard élargi à d’autres confessions et à une grande diversité de terrains d’études (Europe, Asie, Amérique du Nord, Afrique). Fortement inspiré par le renouveau des travaux sur le fait religieux en migration et « en mouvement » (Bava, Capone, 2010 ; Levitt, 2003 ; Hervieu-Léger, 2001), nous chercherons à comprendre plus spécifiquement comment la compétence rituelle et religieuse se construit, ou s’acquiert, dans la mobilité. Nous nous intéresserons à des acteurs religieux que nous qualifierons plus globalement de « spécialistes », afin d’y inclure des processus de formation et construction de la compétence religieuse à la fois institutionnalisés mais aussi informels, parfois discrets, individuels, et n’étant pas nécessairement liés à l’expression d’un réel pouvoir. En effet, les spécialistes rituels recrutés dans le pays d’origine par des communautés émigrées n’exercent pas toujours d’autorité dans le pays d’accueil (Trouillet 2020), et la compétence rituelle et religieuse peut parfois être acquise en migration, sans pour autant avoir été envisagée ou décidée au moment du départ (Bava, et Picard, 2014). C’est pourquoi, dans ce projet croisant parcours migratoires et itinéraires religieux, nous nous intéressons autant à la fabrique de la compétence qu’à celle de l’autorité religieuse dans la migration et la mobilité.
Trois profils types de spécialistes « mobiles » retiendront notre attention : ceux qui sont invités ou recrutés dans leurs pays d’origine par une diaspora en raison de leur compétence religieuse, ; les individus s’étant découvert une vocation de spécialiste religieux au cours de leur migration ; et les étudiants, enseignants et spécialistes religieux qui partent à l’étranger pour se former, et qui peuvent, ensuite, être à l’origine de nouvelles mobilités.
Le projet explorera les trois hypothèses suivantes :
— les expériences migratoires occupent une place particulière dans la construction de la compétence, du charisme, de l’autorité et dans les recompositions identitaires des spécialistes religieux ;
— les parcours et expériences migratoires méritent d’être interrogés au prisme de processus de formation ou de découverte de vocations religieuses (avant l’obtention d’un statut éventuel de « spécialiste »),
— enfin, les mobilités et les pratiques de ces différents acteurs religieux participent à la transnationalisation ainsi qu’à l’hybridation des savoirs religieux, des pratiques, des croyances et des contenus de formation.
Si différents travaux récents ont montré que les circulations des spécialistes rituels sont essentielles au développement transnational des religions (Mary 2003 ; Mohammad-Arif 2004 ; Fancello 2006 ; Claveyrolas 2014 ; Bava 2017 ; Trouillet 2020), les interrelations entre leurs parcours migratoires et de formation, la complexité de leurs rapports à la société d’accueil, ainsi que l’impact des circulations de ces spécialistes sur la recomposition des savoirs et des contenus des formations religieuses méritent d’être explorés plus spécifiquement.
3 axes scientifiques :
Axe 1 : Les parcours migratoires et de formation des spécialistes religieux
Un premier axe porte spécifiquement sur les parcours migratoires, professionnels et de formation des spécialistes religieux, qui officient à l’extérieur de leur pays d’origine (auprès de leur communauté d’origine mais aussi parfois auprès de publics « élargis », internationaux et interdénominationnels). Il s’agira d’évaluer dans quelle mesure les expériences migratoires ont une influence sur la reconnaissance de certaines compétences et sur la construction du charisme religieux. Quels sont les projets et les expériences migratoires de ces spécialistes rituels « mobiles » ? Peut-on devenir un acteur religieux investi et se découvrir une vocation en migration ? Quels sont les éventuels lieux ou moments de bifurcation dans leurs trajectoires migratoires ou dans leur carrière religieuse ? Il s’agira également de comprendre la nature des espaces relationnels définis par les mobilités de ces acteurs religieux, entre « champs sociaux transnationaux » (Basch et al., 1994) et « territoires circulatoires » (Tarrius 2000). Quels sont alors les acteurs intermédiaires et les lieux de passage-clés pour chaque religion étudiée ? Certains pôles transnationaux structurent-ils les circulations de ces spécialistes et leur champ migratoire ?
Axe 2 : Les spécialistes religieux « mobiles » et la société
Le deuxième axe étudie les relations qu’entretiennent les spécialistes religieux « mobiles » avec l’environnement social de leur lieu d’exercice : la société du pays d’accueil ou de transit, les institutions (notamment religieuses, mais aussi politiques, du pays d’accueil et d’origine), les autres communautés religieuses et les générations plus anciennes de coreligionnaires (intégration, acceptation, rejet, etc.). On s’interrogera ainsi sur le rôle de ces spécialistes tant dans la vie des personnes en migration (notamment en matière d’assistance et d’action sociale auprès de migrants ou réfugiés, coreligionnaires ou non) que dans la transnationalisation de leur religion, entre projets (néo)missionnaires et transnationalisation « par le bas ». Il conviendra aussi de s’interroger sur les législations mises en place par les pays d’accueil pour accueillir ces acteurs religieux (types de visas et de contrats de travail), ainsi que sur les modalités d’intervention de l’État dans les formations religieuses et les circulations transnationales de spécialistes ou d’étudiants religieux. La question des relations entre les spécialistes rituels recrutés dans le pays d’origine et les nouvelles formes d’autorité religieuse qui émergent au sein des deuxième et troisième générations des diasporas seront également prises en compte dans cet axe.
Axe 3 : Circulations et recompositions des savoirs et des pratiques
Cet axe traite des pratiques, croyances, savoirs et contenus de formation qui circulent grâce aux acteurs religieux. Il s’agira d’évaluer dans quelle mesure les circulations transnationales des spécialistes religieux et de leurs savoirs(-faire) ont un impact sur l’organisation, les contenus et les supports (matériels ou dématérialisés) des formations religieuses. La formation peut être organisée par des réseaux religieux transnationaux et amener à des déplacements et des circuits de formation dans la mobilité, par les pays d’accueil qui jugent nécessaire de prendre en main le paysage de la formation religieuse. ; Elle peut également être fabriquée de toute pièce « par le bas » par les migrants dans leur rencontre avec leur vocation. Comment la formation des spécialistes religieux s’adapte-t-elle alors à l’influence des réseaux diasporiques et migratoires, ainsi qu’aux aspirations grandissantes à la mobilité internationale des jeunes en formation, comme des spécialistes religieux en quête de notoriété ? Nous interrogerons les évolutions des contenus et supports des formations, leurs recompositions mais aussi leurs hybridations éventuelles, pouvant faire émerger des références professionnelles, religieuses, culturelles, linguistiques et identitaires, à la fois « de là-bas », « d’ici » et « d’ailleurs ». Les références théologiques mobilisées par les spécialistes religieux étudiés seront ainsi interrogées sous leurs déclinaisons traditionnelles, récentes, mobiles, réappropriées ou réadaptées au contexte d’accueil.