Résumé
Il est habituel de définir le paysage par une caractéristique esthétique : un paysage serait une partie d’espace, découpée par notre regard, jugée naturellement belle ou « artialisée » (Roger, 1997) par un aménagement. Dans cette perspective picturale, particulièrement vivace en France, les paysages urbains ou suburbains provoquent souvent la polémique : ils ne pourraient être qualifiés de paysages parce qu’ils ne répondent pas aux qualités esthétiques attendues ou parce qu’ils n’offrent pas d’éléments naturels. Michel Corajoud, paysagiste, estime ainsi « que l’on a introduit la plus grande confusion avec la notion de paysage urbain » parce que « la ville est un montage dont l’unité n’est qu’un artefact » (1995, p. 146). L’idée de paysage est aussi questionnée par la valorisation qu’en font les politiques d’aménagement urbain , la demande sociale croissante dont il est l’objet depuis quelques années (Mercier, 2004 ; Hatzfeld, 2006). Ce débat est significatif d’une transformation de la signification du paysage dans le monde contemporain. De regard porté sur un lieu, il devient un enjeu potentiel de tout lieu : « le concept de "droit au paysage" étendu à la totalité du territoire signifie élever à la même dignité les paysages ordinaires dans les confrontations avec ceux reconnus comme excellents » (Crotti, 2002, p. 33). Il apparaît ainsi comme un catalyseur de questions significatives de notre post modernité, dans un monde de migrations et de mutations rapides, où s‘effacent les ancrages territoriaux et les repères porteurs des identités collectives traditionnelles. Il devient à la fois le mode d’expression d’une quête d’identité, de repères partagés, d’un savoir habiter la Terre renouvelé, et l’enjeu de finalités contradictoires car simultanément environnementales, sociales et économiques. C’est en cela qu’il est d’abord un projet politique. Mais il ne peut jouer un rôle fédérateur, devenir un bien commun que si certaines conditions de droit, de conception, d’éducation, sont remplies, que si la question des rôles et des légitimités à intervenir sur des aménagements de territoires est posée. Le paysage est donc aussi un projet politique en ce qu’il appelle à redéfinir la pratique de la démocratie et de la citoyenneté, dans une perspective qui dépasse les échelles locales ou nationales pour mettre en évidence ce qui les relie, les traverse. (...)