La ville au Sahara et dans le désert
Adrar et l’urbanisme ou la sédentarisation erratique des oasis du Touat

2 mai 2013

Date de parution : 2013

Éditeur : EMAM revue.prg

Collection : Cahiers de l’EMAM

Pages : varia : pp. 7-45

Domaines : Urbanisme

En ligne : http://emam.revues.org/579

Communication au Colloque international organisé par l’IREMAM : “ La ville au Sahara et dans le désert ”, Aix-en Provence, IREMAM, MMSH, jeudi 15 et vendredi 16 décembre 2005

Extrait

L’urbanisation des oasis sahariennes de l’Algérie et de la Libye évolue à une telle vitesse depuis une vingtaine d’années que leur facture urbaine de départ —remarquable à plus d’un titre— s’efface inexorablement au profit d’un mode d’urbanisation dont cet article tentera de dessiner les grands traits. C’est à l’apparition d’un urbanisme typiquement saharien né de la fragile articulation entre une morphologie étroitement liée à la topographie et une structure nouvelle s’imposant de l’extérieur selon un schématisme fonctionnel porteur d’une modernité résolument exogène à laquelle nous assistons. Soulignons d’emblée qu’il convient de se défier de toute généralisation ou extrapolation abusives tant la rigueur du climat, la fragilité des ressources et la vulnérabilité des tissus urbains et sociaux aux technologies modernes de transport et de communication composent avec des héritages aussi multiples que variés selon les sites. Nous ne nous attacherons donc à rendre compte que de ce que nous avons eu l’occasion d’observer dans le Touat, et plus particulièrement à Adrar, à l’occasion d’une mission à laquelle nous avons participé. Nous entendons donc tout d’abord tirer quelque enseignement de ce que nous avons pu observer sur place tout en apportant une contribution plus générale à une réflexion sur ce que nous serions tentés de qualifier de « type urbanistique » en considérant hâtivement qu’il se passe sensiblement la même chose dans les autres oasis du Sud algérien.
Parler d’urbanisme suppose pour le moins de rendre compte de tracés et d’une planification témoignant d’une véritable volonté politique d’organiser un territoire, ses populations et leurs activités selon une vue d’ensemble. Disons simplement que, sans confondre cette discipline des lieux et des procédures avec un ordre géométrique et institutionnel, l’apparition d’un urbanisme saharien coïncide avec une entreprise coloniale qui commence au début du XXe siècle avec les premières incursions de colonnes militaires françaises vers un Sud désertique à découvrir et à conquérir. Les postes et les campements militaires qui jalonnent les pistes menant au Soudan d’alors sont ainsi devenus les noyaux d’une urbanisation effrénée faisant figure de marche forcée depuis l’indépendance de l’Algérie. La farouche volonté de l’administration de mettre en valeur cette sorte de Far-South par une sédentarisation systématique et résolument urbaine des diverses populations composant une société encore largement agropastorale a condamné les planificateurs à composer, quand ils n’en ont pas nié les principales caractéristiques, avec un espace dont nous montrerons qu’il est par nature erratique, mouvant et multiforme.

On peut voir dans cette urbanistique oasienne apparue à l’aube du XXe siècle et dans son vocabulaire architectural et monumental sahélien une sorte de rite d’initiation à la modernité qui sanctionne la mort des ksour et l’entrée dans une croissance urbaine qui s’arrache à son sol en s’émancipant de son système traditionnel d’irrigation. Paradoxalement, l’espace urbain plaqué sur le terrain va gagner en stabilité et les ancrages au sol des constructions seront d’autant plus durables qu’ils auront été conçus de façon abstraite et déterritorialisée. Mais tout cela dans le fond ne fait guère que cacher superficiellement les bases réelles de ce qui menace le plus l’espace oasien. La modernité architecturale et urbanistique, qui privilégie les espaces de circulation et la déterritorialisation des activités —c’est-à-dire qui rend les implantations et les configurations matérielles du bâti et de la forme urbaine indifférentes aux caractéristiques du site et du climat— finit par offrir une sorte de plate-forme hors sol aux villes du Sahara inaugurant une sorte d’urbanistique off shore permettant de stabiliser de façon durable les infrastructures urbaines et les principaux équipements de la vie moderne. Là, se trouve sans doute la véritable et tangible sédentarisation des populations dans des oasis qui ne se déplaceront plus en laissant des traces ruiniformes abandonnées au gré du vent, mais qui seront comme des parcs de stationnement le long de routes aux tracés intangibles. L’image de la ville flottante échouée en cale sèche sur un océan de sable ou de pierres prend ici tout son sens…

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