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Yaneira Wilson

Faire du logement social un bien commun ?

Regards vénézuéliens

Revue : Métropolitiques

Rubrique : Terrains

Date : 04 novembre 2021

La Gran Mision Vivienda Venezuela : un nouveau modèle de propriété

Le premier Plan de la Patrie présenté lors de la campagne présidentielle (2013-2019) définit le cadre légal dans lequel s’inscrit l’opération GMVV. Il vise à « renforcer et élargir la planification urbaine de la GMVV [...] en tant qu’outil de réaménagement national fondé sur la satisfaction du logement comme nécessité sociale et non marchande. Le développement de la propriété sociale doit permettre à toutes les familles et les citoyens vénézuéliens d’exercer la pleine jouissance de leurs droits […] ». Or, cette conception de la propriété entre en conflit avec le cadre juridique en vigueur. En effet, au Venezuela, selon l’article n° 545 du Code civil et l’article n° 115 de la Constitution de la République bolivarienne du Venezuela (CRBV), la propriété est vue comme le « plein pouvoir sur un bien ». Le propriétaire, de manière autonome et exclusive, peut décider de son utilisation, de ses avantages et de ses désavantages. Quant à la définition de la propriété, l’article n° 538 du Code civil, encore actif en 2021, la présente sous deux formes : la propriété publique, qui appartient à l’État, et la propriété privée, appartenant aux individus ; on n’évoque pas, dans le texte, la propriété commune. Ces deux catégories légales se heurtent ainsi à la « propriété semi-privée, commune ou multifamiliale » actuellement proposée par l’État vénézuélien.

Le cadre légal du programme GMVV vise donc à l’intégration de nouveaux modèles de propriété et accompagne ainsi le passage d’une propriété classique, majoritairement individuelle et privée, vers une nouvelle « propriété communale, sociale ou collective ». Ce type de propriété s’appuie sur deux aspects classiques de la notion de propriété : le droit d’utilisation (la jouissance) et l’usufruit d’un bien par les habitants. Il s’en éloigne toutefois quant à l’infrastructure, puisque les murs demeurent la propriété de l’État. La gestion du foncier, en revanche, est confiée à un Comité de gestion familial (groupement des conseils communaux ou des familles), lorsque celui-ci existe.

La GMVV s’inscrit dans un mouvement plus général de réforme du droit de propriété du sol et du bâti en Amérique du Sud. Après la tentative de coup d’État en 2002, le gouvernement bolivarien a mis en place un certain nombre de campagnes sociales et territoriales, telles que les Comités des terres urbaines (CTU), par le décret présidentiel n° 1666, qui permettent une régularisation de l’occupation foncière dans les agglomérations urbaines populaires. En plus de promouvoir la régularisation et la réhabilitation des quartiers défavorisés, ce décret a fondé une base juridique redonnant de l’importance politique à la population dans le processus de planification.

Aujourd’hui, il est utile d’analyser la mise en œuvre de ce programme de construction de quartiers et de logements populaires, et les limites que rencontre le modèle de propriété alternative qu’il entend promouvoir. Cette analyse est le fruit d’une enquête menée entre 2015 et 2020 auprès de huit cités d’habitation de la GMVV, à travers un questionnaire et des entretiens menés auprès des habitants et d’experts publics et privés liés au projet, ainsi que des architectes de ce programme.

Comment l’État a-t-il pu développer un programme de production et de gestion du logement social aux promesses plus démocratiques et participatives ? À l’heure des débats relatifs aux « communs », de quelle façon ce projet propose-t-il une conception renouvelée de la propriété du logement ? Dans quelle mesure cette Mission produit-elle un changement du mode de vie des habitants conforme au modèle du « socialisme du XXIe siècle » promu par le régime ?

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Pour citer cet article :
Yaneira Wilson, « Faire du logement social un bien commun ? Regards vénézuéliens », Métropolitiques, 4 novembre 2021. URL : https://metropolitiques.eu/Faire-du-logement-social-un-bien-commun-Regards-venezueliens.html