Du plan au vécu
Analyse sociologique des expérimentations de Le Corbusier et de Jean Renaudie pour l’habitat social

1er mars 2010

Directeur de thèse : Sylvette Denèfle (Prof. Sociologie, Université F. Rabelais, Tours)

Discipline : Sociologie

Date de soutenance : 2010

Université : Université François-Rabelais, Tours

Jury : Marie-Hélène Bacqué (Prof. Urbanisme, Université Paris-Ouest Nanterre), Monique Eleb (Prof. Sociologie, ENSA Paris-Malaquais), Serge Thibault (Prof. Aménagement et urbanisme, Université F. Rabelais, Tours), Vincent Veschambre (Prof. Sciences sociales, ENSA Lyon)

Référence HAL-SHS : https://hal.archives-ouvertes.fr/view/index/docid/2982075

Résumé

Cette thèse a pour objectif de prendre la mesure de la réception sociale des projets expérimentaux d’architecture pour l’habitat du plus grand nombre, en confrontant les conceptions des architectes aux pratiques habitantes. Pour ce faire, nous avons choisi d’étudier deux modèles de logements collectifs emblématiques des Trente glorieuses en France : les « Unités d’habitation de grandeur conforme » de Le Corbusier et les « Etoiles » de Jean Renaudie – avec les cas particuliers de la Maison Radieuse de Rezé (1955) et de l’immeuble Casanova d’Ivry-sur-Seine (1972). Si nous avons sélectionné ces deux exemples c’est parce qu’ils nous semblent porteurs d’un véritable projet de société, dans le sens où les architectes entendent apporter des réponses spatiales à des problématiques sociales et générer du changement. En effet, les propositions architecturales de Le Corbusier et de Jean Renaudie dépassent un cadre simplement technique, elles suggèrent un projet de vie pour des habitants présumés. Néanmoins, ces habitants, une fois les bâtiments réalisés, ne sont pas des usagers passifs, ils deviennent acteurs de l’espace, car habiter l’architecture ce n’est pas nécessairement la subir, c’est parfois s’adapter, l’ajuster, « s’en arranger ». D’un côté, la pratique architecturale n’est jamais anodine : en tant que manifestation de la culture, elle inspire des manières d’être et de se comporter en société. De l’autre, la pratique d’habiter n’est pas figée : elle correspond à l’aptitude des agents sociaux à s’approprier l’espace et à intervenir sur leur lieu de vie, elle renvoie aux évolutions générales des modes de vie et des représentations sociales. C’est dans ce rapport entre les intentions du projet d’architecture et « l’habiter » que les expériences de Le Corbusier à Rezé et de Jean Renaudie à Ivry-sur-Seine, plusieurs décennies après leur réalisation, sont appréhendées ici du point de vue de la sociologie.

Les deux modèles d’habitat sont envisagés dans une perspective comparatiste, il ne s’agit donc pas de se livrer à une observation isolée de chacun des deux cas, mais bien de mettre en œuvre une « double analyse croisée » : à la fois des projets des deux architectes et simultanément des modes d’appropriation sociale de l’espace à l’intérieur des ensembles d’habitations qu’ils ont produits. L’intérêt de la comparaison réside dans ce que les deux projets ont de plus semblable et de plus différent, car, si Le Corbusier et Jean Renaudie poursuivent un objectif identique – le bien-être des habitants, les façons d’y parvenir divergent. Evidemment, les deux architectes sont empreints des conceptions de leurs époques respectives, de l’esprit de leur temps. Si Le Corbusier est marqué par l’idéologie du premier XXe siècle, par la modernité, la rationalité scientifique et l’hygiénisme, Jean Renaudie incarne la contestation de la fin des années 60 et tente de rompre avec les modèles préétablis par l’architecture et l’urbanisme fonctionnalistes, inefficaces, selon lui, face aux problématiques du second XXe siècle. Qu’en est-il alors véritablement ? Des modèles d’habitat différents peuvent-ils produire des effets sociaux semblables ? Dans quelle mesure les projets d’architecture sont-ils des projets de société ? Comment l’utopie d’une époque peut-elle endurer l’épreuve du temps ? Les nouveaux modèles d’habiter ont-ils participé à la mutation des modes de vie ? Comment les propositions des architectes ont-elles rencontré les évolutions sociales des dernières décennies ? Quel bilan social peut-on tirer de ces expériences ?

Pour répondre à ces questions, la thèse privilégie une analyse diachronique et s’articule en deux parties : la première s’intéresse aux projets d’architecture et à leur contenu social, la seconde concerne les pratiques effectives des habitants sur le temps long au regard des dispositifs spatiaux proposés. De plus, la confrontation « espaces architecturés / espaces habités » est envisagée selon trois échelles : la thèse s’attache à montrer, premièrement, qu’à l’architecture de la ville, répondent des pratiques citadines, des manières de s’approprier l’espace urbain, de se représenter les quartiers, d’utiliser les services et les équipements mis à disposition, de se déplacer, etc. ; deuxièmement, qu’au bâtiment d’architecture, répondent des façons de percevoir l’espace, des jugements de goût quant à l’esthétique de l’édifice, des types de sensibilité à l’architecture, des rapports à la nature, des façons d’envisager les relations entre le dedans et le dehors, des formes de sociabilité, etc. ; troisièmement, qu’à l’architecture de la vie privée, répondent des modes de vie, des usages quotidiens, des manières de s’approprier les espaces du logement, des structures familiales, des relations sociales, etc. Ainsi, l’analyse rigoureuse des conceptions architecturales et urbanistiques de Le Corbusier et de Jean Renaudie, associée aux enquêtes in situ, essentiellement auprès des habitants, mais aussi auprès des acteurs locaux et des observateurs de longue date, constitue l’occasion d’évaluer des modèles théoriques d’habitat, dont on connaît les objectifs, en fonction des pratiques effectives des individus pour lesquels ils ont été élaborés.

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Abstract

From plan to reality. A sociological assessment of Le Corbusier’s and Jean Renaudie’s experiments for social housing.

The aim of this thesis is to estimate the social impact of experimental architectural projects on social housing by confronting the architects’ projects with the inhabitants’ practices. Thus, we’ve chosen to study two symbolical collective models of the second part of the twentieth century : "les Unités d’habitation de grandeur conforme" by Le Corbusier and "les Etoiles" by Jean Renaudie - including the perticular cases of "la Maison Radieuse" in Rezé (1955) and the "Casanova" building in Ivry-sur-Seine (France, 1972). We’ve chosen these two examples because they seem to convey a real project of society in the sense that the architects are inclined to answer to social problems and to create changes thanks to their innovations. Actually, their proposals exceed a pure technical point of view to suggest a project of life for presumed inhabitants. Nevertheless, once the buildings realized, these inhabitants are not passive users and become the actors of their housing space because living architecture isn’t inevitably becoming its subjects ; on the contrary, it is sometimes to adapt, to adjust and to put up with it. On one side, practising architecture is never innocent : as a sign of culture it inspires ways of living and behaving in society. On the other side, being an inhabitant isn’t a static state : it corresponds to the social agents’ ability to become actors of their space and to intervene in their own living area ; it is connected to the general evolutions of lifestyles and social representations. To conclue, considering this connection between the objectives of the architectural projects and the reality of living in them, we are led to think that it could be interesting to evaluate the sociological effects of the experiments of Le Corbusier in Rezé and Jean Renaudie in Ivry-sur-Seine, several decades after their realizations.

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