FREY (Jean-Pierre), « Formes du logement et mots de la maison », in : BRUN (Jacques), DRIANT (Jean-Claude), SEGAUD (Marion) sous la dir. de, Dictionnaire de l’habitat et du logement, Paris, Armand Colin, 2002, coll. Dictionnaires, pp. 186-191
Les mots de la « maison » présentent la particularité d’évoquer de multiples lieux, formes, objets d’un univers quotidien avec lequel nous sommes tout particulièrement familiarisés, nul ne pouvant vivre sans habiter. On peut sans doute se demander si le mot « maison » est le terme le plus générique qui soit pour désigner non pas le lieu où l’on habite, le mot « habitat » pouvant avoir une acception géographique ou écologique, mais l’édifice, la construction que l’on occupe sinon en permanence, du moins avec force habitudes et régularité. L’établissement où l’on demeure (demeure), l’habitation où l’on réside (résidence), le domicile que l’on occupe peuvent prendre la forme d’autres types de constructions que celles qui correspondent à l’image que l’on se fait couramment d’une maison, à fortiori d’une maisonnette. Ce charmant diminutif indique que l’on a déjà en tête une forme, un volume, un cadre, bref de quoi soupeser le poids symbolique, financier et matériel de l’édifice.
L’association faite par Martin Heidegger entre bâtir, habiter et penser indique que l’édification d’une habitation est une activité essentielle de l’humanité, de la socialisation, des êtres vivants en général, animaux et végétaux. C’est dire si les mots et les choses de la maison sont liés, dans chaque langue, culture et civilisation, par des liens étroits tissés au fil des siècles, avec des racines très profondes, des évolutions sémantiques et philologiques qu’il n’est pas raisonnable d’imaginer pouvoir aisément restituer. Il existe pourtant des termes métaphoriques, ou correspondant à d’autres tropes, couramment utilisés à la place du terme déjà fort général de maison. Pris dans ce qu’il désigne de plus vital, on parlera d’abris, de logis, de refuge, de gîte, d’asile, bref d’un chez-soi dont il n’est pas besoin de préciser la nature pour qu’il joue son rôle, ne serait-ce que sommairement ou furtivement. Lieu privilégié où l’on se réunit autour d’un feu permettant de se chauffer et de préparer les repas, la maison sera couramment appelée foyer, noyau du ménage comme unité démographique. Si l’héritage latin de notre culture savante en la matière veut d’emblée que la domus de la ville s’oppose à la villa de la campagne, on empruntera plutôt les images les plus primitives —ou plutôt régressives— de la maison au règne animal : le nid, la coquille, la ruche, la niche, le terrier, le cocon, le bercail, la tanière, la crèche…
La porte est ainsi ouverte aux appellations plus familières, vulgaires ou argotiques en vertu desquelles on pourra crécher dans une taule, pieuter en cabane ou s’envoyer en l’air tranquille au paddock. C’est qu’à « maison » seront associés toute une série de qualificatifs permettant de préciser sinon la nature, du moins la destination principale du lieu. Les maisons auxquelles fait prioritairement référence la langue verte sont bien évidemment liées au commerce du sexe ou à diverses modalités d’incarcération. Cabane et taule ont un temps fait référence aux maisons closes, ces maisons de passe, de rendez-vous et de tolérance qui, dès lors qu’elles sont un lieu permanent d’habitation, tout au moins pour leurs pensionnaires et la taulière, car les clients ne font guère qu’y passer —même si c’est avec acharnement, constance et régularité, et avant de rentrer dans leurs pénates—constituent un habitat au plein sens du terme. Les bordels, claques, lupanars correspondent tout de même plus à l’image que l’on se fait de la maison que les maisons de jeux et autres tripots. Il y a aussi et surtout ces maisons où l’on peut être condamnés à vivre en vertu de processus et procédures judiciaires (ou plus arbitraires parce que moins légitimes) de relégation et d’enfermement. Qu’elles soient de justice, en se parant de la somptuosité des palais, de force, de détention ou de correction, simplement d’arrêt ou ayant le statut de centrales, elles consistent à mettre à l’ombre des pensionnaires en préventives ou déjà condamnés, que l’on y amène et qui y sont détenus.