Ma thèse en agence d’architecture
Aurore Reynaud, doctorante en architecture

24 avril 2017

Date de parution : 24/04/2017

Éditeur : Groupe Moniteur

Collection : AMC, Points de vue

Domaines : Architecture

Date de parution : 24/04/2017

Ma thèse en agence d’architecture

Dans son numéro 259-avril 2017, AMC s’intéresse à une population méconnue du monde de l’architecture : les chercheurs et leurs apprentis, les doctorants. Ces derniers, hébergés au sein des 34 laboratoires scientifiques des écoles d’architectures, sont environ 400, engagés pour trois ans - au moins - dans "la formation à la recherche par la recherche", véritable parcours du combattant où la question du financement est primordiale. Témoignage d’Aurore Reynaud, doctorante qui a opté pour une thèse au sein de l’agence de Paul Chemetov, via une convention industrielle de formation par la recherche (Cifre). Ce dispositif permet aux agences, aux bureaux d’études, aux collectivités ou aux associations comme les CAUE, de salarier un doctorant qui travaillera pendant trois ans sur un sujet élaboré conjointement avec un laboratoire – embauché à temps plein, il doit consacrer 50 % de son temps de travail à ses recherches.

Aurore Reynaud doctorante en architecture, sous la direction de Yankel Fijalkow (dir) et François Gruson, UMR CNRS 7218 LAVUE-CRH (Laboratoire Architecture Ville Urbanisme Environnement, Centre de Recherche sur l’Habitat), CIFRE AUA Paul Chemetov, Université Paris Ouest Nanterre la Défense / ENSAPVS

Ayant commencé en novembre 2015 une thèse en Cifre au sein de l’AUA Paul Chemetov, je souhaite partager cette expérience mais aussi encourager les jeunes architectes à faire une thèse en agence. Malgré une certaine complexité administrative où il faut faire preuve de pugnacité, le jeu en vaut la chandelle !

Pour rappel, le principe d’une thèse en architecture est récent, il date de 2005(1). Il fait suite à la mise en place de la réforme « licence, master, doctorat » (LMD) pour l’enseignement de l’architecture. Or, le passage du master au doctorat est d’autant moins évident que le financement de la thèse (qui dure trois ans) est crucial, notamment pour ceux qui veulent tout de même continuer à avoir une pratique professionnelle. Dans ce cadre, il est important de procéder par étapes.

La thèse en architecture
Dans un premier temps, le doctorant doit développer un sujet de recherche "original et inédit", qui prend généralement racine en master (mention recherche) et/ou par le biais d’un post-master(2), l’objectif étant d’arriver à un sujet de thèse rédigé avec des hypothèses, une méthodologie, des terrains d’études, etc. Par la suite, il faut prendre contact avec un professeur-e HDR(3) intéressé par votre sujet. Ce sera votre directeur-trice de thèse. Ce choix est très important, car cette personne vous suivra dans vos recherches de financement et tout au long des 3 années à venir. Votre directeur-trice de thèse est rattaché à une université, un laboratoire et une équipe de recherche qui deviendront les vôtres.

Architecte doctorant-e
Avoir un sujet de recherche, un directeur HDR et un laboratoire ne suffit pas pour effectuer une thèse dans de bonnes conditions. Se pose la question du financement. Les contrats doctoraux sont peu nombreux : trois ou quatre du ministère de la Culture, quatre ou cinq de votre école doctorale, ou encore des Régions. Il y a beaucoup de demandes, très peu de places et les sujets en rapport avec l’architecture sont rares. De plus, ils comportent le risque d’éloigner le doctorant de la pratique. S’ouvre alors une autre possibilité : la Cifre(4). Ce sigle qui identifie une convention industrielle de formation par la recherche identifie un contrat entre trois parties : l’Association nationale de recherche et de technologie (ANRT), un laboratoire de recherche et une entreprise. Monter ce dossier est assez complexe et le temps d’instruction peut varier, généralement entre trois et cinq mois. Mais une fois la partie administrative passée et votre dossier validé par la commission scientifique de l’ANRT, vous devenez un doctorant cofinancé par celle-ci et (dans ce cas) par une agence d’architecture. Ainsi, vous devenez architecte praticien et doctorant chercheur, votre travail en agence enrichit votre thèse et vice-versa. Vous avez aussi accès à davantage d’informations, de documents et d’interlocuteurs car vous intégrez l’entreprise en tant que salarié. Néanmoins, cette immersion complète dans votre sujet peut devenir un piège, et le manque de distance par rapport à votre recherche peut influencer la crédibilité scientifique de votre travail. Pour parer à cela, vous pouvez mettre en place un comité de thèse et vous devez participer, échanger et communiquer avec les doctorants, les associations de doctorants(5) et les enseignants qui vous entourent, faire des communications, participer à des colloques, écrire des articles, pour avoir des retours sur votre travail.

Un équilibre à trouver
Dans le cadre d’un contrat Cifre, le premier équilibre à trouver, et le plus complexe, est certainement celui de vos disponibilités. Il est important de négocier dès le départ le temps de présence à l’agence et au laboratoire, pour que l’un n’empiète pas sur l’autre. Dans un second temps, il est essentiel d’identifier vos futures tâches au sein de l’agence, avec votre employeur et votre directeur de thèse, pour qu’elles correspondent à vos attentes et à votre sujet de recherche. Par exemple, dans mon cas le sujet de recherche s’intitule : « La difficile patrimonialisation de l’architecture collective moderne : réflexion sur l’héritage et le devenir d’œuvres emblématiques de l’AUA(6) ». J’ai la chance de travailler avec l’un des membres de l’AUA, Paul Chemetov, toujours en activité et soucieux de l’avenir des bâtiments qu’il a conçus. En agence, mes missions sont très diverses mais en relation avec mes recherches : de l’aide à la préparation de l’exposition « Une architecture de l’engagement : l’AUA (1960-1985) » pour la Cité de l’Architecture et du Patrimoine, au traitement des archives de la période AUA, au suivi juridique et médiatiques des actions entamées contre la démolition de l’ensemble dit des Briques Rouges, construit à Vigneux-sur-Seine (AUA,1963-1972, labellisé patrimoine du XXe siècle), aux visites de chantiers sur des réhabilitations ou, encore récemment, un travail d’observation-participation sur la mise en place de l’audit énergétique d’un ensemble construit à Bagnolet (AUA, 1971), également labellisé patrimoine du XXe siècle.

En résumé, faire sa thèse en contrat Cifre c’est avoir la chance d’allier pratique du métier d’architecte et de la recherche dans le cadre d’un doctorat. C’est approfondir ses connaissances et sa formation d’architecte.

Notes
(1). Décret interministériel du 30 juin 2005.
(2). Plusieurs formules de post-master existent : DPEA, DEA ou même master 2 universitaire.
(3). Habilitation à diriger les recherches, diplôme national de l’enseignement supérieur qu’il est possible d’obtenir après un doctorat.
(4). Voir http://www.anrt.asso.fr/fr/espace_cifre/accueil.jsp#.V73DxmXwyCQ
(5). Par exemple : l’ADCIFRESHS (l’Association des doctorants Cifre en sciences humaines et sociales).
(6). L’Atelier d’urbanisme et d’architecture, regroupait entre 1960 et 1985, une vingtaine d’associés, architectes, urbanistes, sociologues, paysagistes, ingénieurs, designers, tels que Jacques Allégret, Paul Chemetov, Henri Ciriani, Michel Corajoud, Jean Deroche, Christian Devillers, Valentin Fabre, Jacques Kalisz, Georges Loiseau, Jean-François Parent, Annie Tribel, Jean Tribel, etc. Ils avaient notamment comme spécificité leur goût pour la construction en banlieue, une critique précoce des grands ensembles, l’utilisation de procédés industrialisés et de matériaux simples et économiques.

Article en ligne :
https://www.amc-archi.com/article/ma-these-en-agence-d-architecture-par-aurore-reynaud-doctorante-en-architecture,6708

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